Maitre de son destin - L’histoire de Jean-Marc Tremblay
« Je souhaite à mes descendants qu’ils comprennent que la vie va te donner ce que tu es prêt à lui donner. Si tu lui donne beaucoup, tu recevras beaucoup, quoi qu’il arrive. » [1]
Jean Marc Tremblay est né le 21 juin 1925 à Québec. Son père, Jean-Joseph Tremblay, possède une petite épicerie tout en étant voyageur de commerce. Sa mère, Bernadette Belley, s’occupe du magasin et élèvent ses quatre enfants dont Jean-Marc est l’ainé. La famille habite le deuxième étage de l’immeuble où est situé le commerce, dans le quartier Limoilou, près de la rivière Saint-Charles.
La vie de Jean-Marc bascule lorsque son père décède de la tuberculose un peu avant Noël 1929. Quelques mois plus tard, lui et ses frères et sœur sont confiés à des orphelinats tandis que leur mère ruinée doit se trouver du travail comme cuisinière dans des familles riches de Québec.
« Quand mon père est mort, ma mère aurait pu bien vivre avec nous. Le souvenir profond que j’ai est que ma mère était trop bonne, une bonasse comme on dit. Tout le monde s’est mêlé de ses affaires. Elle ne nous a jamais abandonné mais elle écoutait trop tout le monde. Mon père l’avait laissée avec un petit magasin et 12 000 piastres d’assurances. Elle a prêté ça à n’importe qui pis on s’est retrouvé à la rue. »
Jean-Marc passe donc son enfance et son adolescence dans huit foyers et orphelinats différents à Québec, Rivière-du-Loup, Lyster et Chicoutimi. Il confie qu’il a eu l’impression de n’avoir jamais été à sa place durant cette période, comme s’il dérangeait partout où il habitait. L’adolescent termine ses études à dix-sept ans, avec une onzième année.
Après avoir travaillé pendant quelques temps sur la ferme de son oncle Charles à Chicoutimi, il déniche en 1944 un emploi de mesureur sur les chantiers de la papetière Price, au Lac Saint-Jean. C’est un travail difficile en pleine forêt avec des hommes qui gagnent leur vie péniblement.
« C’était très dur. Une corde était payée plus ou moins quatre ou cinq piastres, pas plus. Les bucherons gagnaient leur argent. Il fallait mesurer honnêtement pour les pauvres bucherons. »
Jean-Marc travaille en forêt pendant sept ans et c’est grâce à son métier qu’il rencontre la femme de sa vie en 1951. Un vendredi, en revenant du chantier, il aperçoit une jeune femme et en tombe immédiatement amoureux. Françoise Gilbert est la fille de son patron. C’est une belle brune souriante qui est institutrice. Il a 26 ans et elle, 25 ans. Le coup de foudre est réciproque. Les noces sont célébrées le 23 aout 1952.
« D’être seul avec Françoise pour la première fois, c’était le fruit d’un amour complet. On était vraiment heureux. Ma Françoise, pour moi ce n’est pas drôle ! »
Jean-Marc sait que le travail dans les chantiers ne constitue pas un métier d’avenir pour un nouveau marié. Il veut se sortir du bois pour améliorer son sort et celui de la famille qu’il entend fonder avec sa Françoise.
Un nouveau métier et une famille
Pour s’élever dans l’échelle sociale, Jean-Marc décide de devenir représentant en assurance, la seule manière pour un homme comme lui de prospérer, croit-il.
« Je me suis dit que devrais rentrer dans l’assurance. J’avais juste une petite instruction. J’étais pour faire quoi avec ma 11e année? Tu fais quoi pour avoir un revenu qui peut donner de l‘aisance à ta famille avec une instruction comme ça? C’est la vente, il n’y a rien d’autre. »
Au sein du bureau de La Prudentielle d’Amérique de Chicoutimi, Jean-Marc gravi les échelons, un à un, avant de devenir le directeur de son district en 1964. À ce titre, il gagne plusieurs prix de productivité, remportant à deux reprises le prix du meilleur district du Canada. Il est ensuite transféré à Saint-Lambert pour redresser un bureau qui bat de l’aile. En 1970, il s’installe dans la petite banlieue de Montréal avec sa famille qui y prendra racine.
Jean-Marc est ambitieux et se donne beaucoup à son travail. Et pour cause. Entre 1953 et 1962, Françoise et lui ont eu six enfants, trois garçons et trois filles. Même s’il n’a pratiquement pas eu de modèle masculin, Jean-Marc est, de l’avis de ses enfants, un père modèle. Il est strict et sévère mais surtout loyal et aimant.
« Mes enfants m’ont forgé comme humain parce que la grande force des enfants ça été de me donner des responsabilités, qu’il arrive ce qu’il voudra. Ça été un principe fondamental. Ça a beaucoup uni notre couple aussi. D’ailleurs les enfants ce n’est pas la responsabilité du père ou de la mère : c’est la responsabilité du couple. »
Avec Françoise, il forme un couple qui demeurera uni et tendre toute sa vie. Personne ne les a jamais entendu se disputer, même si Jean-Marc admet avoir une personnalité assez bouillante.
« Je ne me souviens pas que nous nous soyons disputés. D’abord par principe quand tu aimes quelqu’uncomme Françoise, quand il y avait des choses pas à mon goût je ne disais rien. Parce que j’ai trop mauvais caractère. Je voulais à tout prix préserver notre amour. Quand je n’étais pas de bonne humeur, mon truc était que je ne parlais pas. »
Une retraite bien méritée
Les années se suivent et Jean-Marc se donne à fond, permettant au bureau dont il a la charge de se maintenir parmi les meilleurs au Canada. Le 11 février 1984, il prend sa retraite à l’âge de 59 ans.
« C’était jeune pour l’époque. Le vice-président de la Prudentielle était venu me voir pour me dire de prendre ça easy et de rester avec eux encore un bout de temps mais je lui ai répondu, « ben oui, pis tu vas m’écœurerpour que mes rendements montent ! »
Même s’il est relativement jeune, Jean-Marc est épuisé. Depuis l’âge de cinq ans, il se démène pour survivre et prospérer. Sa santé s’en ressent : des étourdissements et une grande lassitude l’incitent à se reposer.
« J’étais fatigué. C’est une besogne très dure. J’avais plus de 800 millions d’assurances à gérer à la fin. Une secousse j’avais quarante-deux agents. Si le travail avait demandé moins d’effort, j’aurais peut-être pu étirer la sauce. »
Comme pour toutes les décisions qu’il a prises jusqu’alors, Jean-Marc est résolu. Il ne reviendra pas en arrière. Ses enfants sont tous bien élevés et il est heureux avec Françoise. Le couple quitte Saint-Lambert pour s’installer à Sutton, dans une grande maison qui devient le lieu d’innombrable fêtes avec amis et parents.
Le nouveau retraité prend tous les jours sa marche vers le village pour acheter son journal Le Devoir, qu’il lit assidument depuis les années 1950. Il arrive même qu’il découpe des articles pour les envoyer par la poste à ses enfants.
Dans les années 1980 et 1990, il joue au bridge, fait du bénévolat à sa paroisse, voyage avec Françoise tout en s’occupant parfois de ses petits-enfants. C’est un grand-père toujours prêt à aider. Il vit pleinement ces belles années de repos.
Make things happens
En 2003, Jean-Marc et Françoise reviennent s’installer à Saint-Lambert. Ils habitent d’abord dans un condo, puis leur état de santé les amène à aller vivre dans une résidence pour personnes âgées. Dans les jardins, Jean-Marc se balade souvent avec sa canne, bavardant avec d’autres retraités et faisant quelques blagues au personnel. Âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, il repense à son incroyable destin.
« La vie, peu importe la façon dont t’as été élevé, c’est une bataille continuelle. Peu importe de quel milieu on vient. Faut avoir des croyances de base, pas nécessairement la religion, les croyances de base c’est pour moi c’est de faire confiance à la vie. Il faut lui donner un élan à la vie, sinon il ne se passera rien. Il faut croire en soi. »
Toute sa vie il a répété inlassablement sa phrase fétiche : « Make things happens ». Jean-Marc Tremblay incarne beaucoup de Canadien-français de sa génération. On ne lui a pas fait de cadeau. Il s’est fait seul à force de travail et d’ambition. D’orphelin sans le sou, il est devenu prospère, il a fondé une famille et s’est dépassé sans renier ses valeurs. Jean-Marc Tremblay s’est construit une vie à son image.
« J’ai aimé ma vie. S’il y avait une situation que je n’aimais pas, par caractère je me disais qu’il fallait que je m’adapte et que je trouve le moyen d’être heureux même si j’étais dans la merde par-dessus la tête. Je ne changerais rien pour la bonne et unique raison que je me suis toujours ajusté aux aléas de l’existence. Ce que je ne pouvais pas changer, je m’organisais pour vivre avec. »
La version intégrale de la biographie de Jean-Marc Tremblay est disponible à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Titre : Maître de son destin - L’histoire de Jean-Marc Tremblay Nombre de pages : 110 pages Auteur : Martin Bisaillon Numéro d’ISBN : 978-2-924912T
[1] Toutes les citations de Jean-Marc Tremblay proviennent d’entrevues réalisées avec lui de novembre 2017 à février 2018.