Transmettre sa force - L'histoire de Guy Ménard

 
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Le son d’une envolée d’outardes déchire le ciel et surprend la famille de Guy Ménard réunie au cimetière pour un dernier au revoir. Son épouse Lyse Ménard n’est pas étonnée de la présence de ces gros oiseaux ; son mari, un amoureux de la nature, les adorait.

« C’était un homme au cœur d’or, toujours prêt à rendre service à ceux qu’il aime, résume celle qui fut sa grande complice pendant 53 ans. J’étais la femme la plus heureuse », ajoute-t-elle.

Guy Ménard a grandi sur le Plateau-Mont-Royal, rue Garnier, tout près de l’avenue Laurier, à Montréal. À l’époque, le Plateau était un quartier ouvrier où vivaient des gens simples, tels que décrits dans l’univers de Michel Tremblay. Rien à voir avec la bourgeoisie qui s’y est installée dans les années 1990.

Enfant, Guy était espiègle et aimait jouer des tours. Le décès prématuré de son père atteint d’une maladie du muscle cardiaque – aussi appelé un « cœur de bœuf » – l’oblige à quitter l’école pour aller travailler. L’adolescent n’a alors que 15 ans et une 9ème année.

Quelques années plus tard, alors qu’elle rentre du travail, Lyse se fait présenter son futur époux par son cousin. « Guy était mon voisin et il avait l’œil sur moi, mais il croyait que j’étais trop jeune pour lui. Mon cousin lui a dit : Ben non, elle a ton âge ! J’avais vingt ans », se souvient-elle.

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Après deux ans de fréquentations, le 29 juin 1963, Guy et Lyse se marient à l’Église Saint-Stanislas de Kostka, située sur le boulevard St-Joseph. Ils célèbrent ensuite la noce au Café Évangéline de la rue St-Hubert. C’est à ce moment que Guy, qui adore chanter, fredonne un air dont il a inventé les paroles :

Je veux t’aimer, ô mon amour

Je veux t’aimer et pour toujours

Tu es si aimable et gentille

Que je veux passer avec toi le reste de ma vie

« Ça m’avait émue », se souvient Lyse Ménard.

Une famille et deux emplois

Le couple s’installe rue des Érables, puis à Montréal-Nord et finalement à Laval, dans le quartier St-François où grandiront leurs deux filles, Sylvie et Chantal. Père attentionné et mari aimant, Guy a un objectif très clair : que personne ne manque de rien. Pendant plusieurs années, il cumule deux emplois. Le jour, il est évaluateur à la Ville de Montréal et le soir, il livre des colis spéciaux au volant des immenses camions de Postes Canada.

« Mon père avait ses principes, il voulait payer sa maison, n’avoir aucune dette pour sa retraite et il a  réussi », lance fièrement Sylvie, l’aînée des deux enfants.

« C’était un homme généreux. Quand on allait magasiner, il me répétait souvent : Lyse, fais-toi plaisir. Lui, il s’oubliait », raconte celle que son mari surnommait « la femme bionique » parce qu’elle n’était jamais fatiguée.

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Guy Ménard était un homme humble, chaleureux, qui dégageait de la prestance et une grande bonté. Il aimait les plaisirs simples : l’ornithologie, travailler sur le terrain, aller au restaurant et passer du temps en famille. Il pouvait écouter pendant de longs moments de la musique avec sa femme.

Ne pas s’endormir fâché et s’expliquer pour finir par se comprendre, c’est en appliquant ces deux règles d’or que Lyse et Guy Ménard ont réussi à s’aimer aussi longtemps. Pour leurs enfants, c’est un bel héritage, affirme leur fille Sylvie :

« Mes parents avaient une belle complicité. Quand ils n’étaient pas d’accord, ils s’expliquaient. On va se parler et on va passer à travers, disait mon père. »

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On va passer à travers… C’est ce que Guy Ménard a déclaré à sa femme lorsqu’en 2008, il apprend qu’il souffre d’un cancer de la prostate. C’était le 13 février, la veille de la St-Valentin. Ce jour-là, les amoureux ont beaucoup pleuré.

« Avec de la persévérance, on vient à bout de tout », répétait souvent Guy. Pour l’homme fort et positif qu’il est, la maladie représente un défi de taille qu’il abordera avec la même détermination que tous les problèmes qu’il a affrontés.

« Il n’y avait rien à son épreuve, raconte avec admiration Sylvie. Un problème d’informatique ou de plomberie, il ne disait jamais non. Il cherchait et trouvait la solution à tous les problèmes. Il aimait aussi transmettre ses connaissances à son gendre Richard », ajoute-t-elle.

Faible, mais souriant et heureux 

Avec le temps, le cancer s’est répandu jusqu’à la vessie, bloquant également les reins. En juin 2016, rien ne va plus. L’automne venu, Guy apprend qu’il ne lui reste que peu de temps à vivre.

« C’était le 13 octobre, le jour de ma fête, se souvient Lyse. Mon mari m’a dit : On s’en va à la chapelle de l’hôpital. Et là, on s’est dit que l’on se battrait. »

En apprenant la triste nouvelle, leur fille Chantal a du mal à y croire : « Ça ne se peut pas. Mon père, c’est le plus fort. »

Guy dresse la liste des choses qu’il doit accomplir avant de mourir. Tout en haut de celle-ci, il y a l’Auberge du Lac St-Pierre, son refuge à Trois-Rivières. Il ira en novembre, en compagnie de Lyse, Sylvie et de sa petite fille Marie-Ève avec qui il aimait tant discuter. Il était faible, il avait toujours froid, mais il était souriant et heureux, rapportent ses proches.

À son retour, miné par la maladie, Guy n’a qu’un souhait : mourir à la maison.

« J’ai compris que, pour une fois, mon père pensait à lui », se dit Sylvie qui organise les soins palliatifs à domicile. Lyse, qui a pourtant peur des aiguilles, se charge des injections de son mari.

« Nous avons tenu promesse jusqu’à la fin. Ce fut les plus beaux moments de ma vie. Nous avons traversé le pire ensemble », affirme Lyse qui avait confortablement installé son mari dans le salon de la maison familiale, face à la fenêtre.

Très doucement, avec ceux qu’il aime, Guy Ménard est décédé le 8 décembre 2016, en fin d’après-midi.

« Il attendu que l’on revienne du salon funéraire où l’on avait fait les derniers arrangements… le dernier item sur sa liste, ironise joliment Sylvie. Dans les derniers moments, on faisait jouer sa chanson préférée : Libre, de Marie-Ève Janvier. »

La vie t’a donné du courage 

Pour affronter tous ses démons

Tu pars pour un très long voyage

Mon cœur se déchire en million 

Et tu es libre

Et je dois vivre

Guy Ménard est mort libre, fier et honoré d’avoir inspiré les siens.

« Il m’a transmis sa force et c’est encore plus présent maintenant. Pour mon père, tout était réalisable, tout était faisable. Aujourd’hui, je sens que je peux tout faire », conclut Sylvie Ménard.

Hommages

Par Lyse Ménard 

Une journée inoubliable… 

Parents et amis, 

Nous sommes réunis dans cette chapelle pour dire adieu à Guy, un homme en or, toujours prêt à rendre service à ceux qu’il aimait. 

Mais en dernier, c’était l’homme le plus malheureux de se voir diminué, incapable de faire ce qu’il aimait. 

Moi, je suis la femme la plus heureuse car la promesse que je lui avais faite de lui permettre de mourir à la maison, je l’ai respectée. 

Je peux vous dire que j’ai vécu les plus beaux moments de ma vie, être avec lui jusqu’à son dernier souffle. 

Nous étions mariés pour le meilleur et le pire, nous l’avons traversé ensemble, ce pire. 

Je t’aimais et je t’aimerai toujours. Veille sur nous, mon bel amour. 

Ta « chérie » comme tu m’appelais, même dans tes derniers moments. 

Adieu, mon bel amour

Par Sylvie Ménard

Papa, 

Ton âme est au ciel, parmi les étoiles. Tu es libre, en paix, sans souffrance, sans tristesse et sans colère. 

Tu as été un père courageux jusqu’à ton dernier souffle. Tu es et seras à jamais pour moi, un modèle de détermination et d’amour. 

Tu t’étais engagé à vivre ton cancer avec toute l’énergie positive dont tu as toujours fait preuve. Tu avais peur, mais tu restais fort, confiant et désirant plus que tout, continuer à vivre, pour être près de maman et ne pas la laisser seule. 

Il n’y a pas de mot pour exprimer la tristesse et la souffrance qui m’a envahie lorsque le médecin nous a annoncé à l’anniversaire de maman, qu’il ne te restait que de 3 à 6 mois à vivre. 

Dans tes yeux, j’ai vu le découragement et la peur. Cela allait beaucoup trop vite, tu avais du mal à accepter que tu ne pourrais guérir.

Tu voulais réaliser un dernier rêve en famille, celui de retourner à la petite Auberge du Lac St-Pierre pour une nuit. Tu n’avais pas de force, tu avais toujours froid, mais nous avons réussi à vivre ce petit moment privilégié en ta compagnie. 

Tu rayonnais de bonheur de voir ta petite fille avec nous, car tu voulais lui faire découvrir l’endroit. Nous avons partagé de belles discussions et de tendres moments. Nous garderons à jamais le souvenir de te voir si heureux malgré ta souffrance. Je dois avouer, que c’est le dernier sourire que j’ai vu sur ton visage et il est précieux pour moi aujourd’hui. 

À ton retour de l’auberge, la vie a commencé à s’éteindre tout doucement. J’étais affolée de devoir débuter les démarches pour les soins à domicile. 

Tu désirais mourir chez toi, à la maison auprès de nous. Je te revois si faible, validant auprès de maman et moi si cela était bien pour nous. Je t’ai alors regardé dans les yeux et je t’ai demandé ce que toi tu désirais. Tu m’as confirmé vouloir rester à la maison. À ce moment précis, j’ai compris que pour une fois tu pensais vraiment à toi et cela m’a donné la force pour t’accompagner. 

Malgré ton état semi conscient, tu me prodiguais de belles leçons de courage. Je t’admirais avec les yeux d’une enfant toujours aussi émerveillée, même si par moment, tu ne me reconnaissais plus.
 
Combien de fois m’as-tu demandé les yeux plein d’eau à quel moment tu allais mourir. Je te répondais : « Quand tu seras prêt », et tu fermais les yeux, apaisé. 

Je me souviens de ce petit moment de lucidité où tu m’as dit que j’étais un pur cadeau dans ta vie et que tu m’aimais. C’est aussi la dernière fois où tu m’as parlé. 

J’éprouve une grande gratitude pour la belle vie que tu m’as offerte et les sacrifices accomplis pour nous procurer beaucoup plus que l’essentiel. Tu as toujours fait passer notre confort et notre bonheur avant le tien. 

Tu m’as appris à développer en moi cette détermination que tu possédais, tu as été un phare pour me guider dans les moments difficiles. 

Tu sais mon petit papa, malgré la mort, le lien entre nous est toujours aussi précieux. Je ressens ta présence près de moi. Papa, petite étoile céleste, je n’oublie pas le privilège et la fierté d’être ta fille. 

J’entends cette petite voix qui me guide. Papa, mon bel ange d’amour tu seras le gardien de nos vies, notre protection, notre courage, notre motivation et notre force pour continuer notre vie à ton image. 

Je t’aime et t’aimerai jusqu’à mon dernier souffle, papa.

Guy Ménard | 5 mars 1939 - 8 décembre 2016

Conjointe : Lyse Brière
Père : Rodrigue Ménard
Mère : Marie-Marthe Lachance
Frère : Jean-Pierre Ménard
Enfants : Sylvie Ménard, Chantal Ménard